« Le travail à quatre mains que nous découvrons dans cette exposition s'enracine dans une histoire de liens et de caractères. Durant plus de 14 ans, les deux artistes se sont côtoyés, observés aussi, dans l'atelier dans lequel Jean-Pierre Tachier-Fortin invitait Laurent Cassereau. Chacun travaillant sur ses projets.

De nature, de culture et d'âge très différents, cela n'a pas empêché la naissance, entre les protagonistes, d'une amitié singulière. Sorte de fraternité basée prioritairement sur la qualité de la relation humaine, sans faire l'économie des oppositions de chacun, ce qui est spécifique d'une relation vivante.

En 2021, sur la proposition de Jean-Pierre Tachier-Fortin, les deux hommes décident de travailler ensemble. Ensemble sur une même toile. Le pari est intéressant et risqué. Il demande bien des adapta-tions. Adaptations psychologiques et artistiques qui n'ont rien d'évident. Car œuvrer sur un même espace requiert un esprit d'abnégation, à l'endroit même où la création cherche à creuser sa voie et à prendre sa place habituelle. Toute sa place ! Il faut également beaucoup de confiance en soi et en l'autre pour accepter ce partage. Puisqu'il n'est pas régi par l'égalité de la surface de la toile impartie à chacun, mais par le mystère de l'harmonie du travail engagé. On imagine alors le rôle crucial du lien forgé dans la vérité d'une confiance exigeante comme vis-à-vis d'une réalisation commune. On sait qui est l'autre et l'on sait qui l'on est. Cette posture permet de dépasser les lourdeurs, les tensions que toutes créations génèrent obligatoirement et qui, dans le cas présent, se trouvent doublement activées.

Car c'est à ce moment précis, si difficile, si épineux. si tendu, que la rencontre se fait et supplante tout.Elle doit balayer les obstacles et imposer l'exercice de création au titre du double.

On l'aura compris, la difficulté est de faire alliance avec la peinture de l'autre, tout en apportant la part de soi, que l'on sait fondamentale. Pour cela, il faut se laisser faire par l'indicible. Entrer en « communion » avec cette création qui n'est pas sienne et qui attend toute transformation comme une complétude vitale pour sa réalisation. Dans un mouvement authentique, chacun opère. Parfois l'un après l'autre, espacé ou pas dans le temps, parfois en synergie commune. Sans calcul préalable d'une trame quelconque ou d'une thématique prédéfinie, seule est retenue l'intuition dominée par les sens. 

La concurrence entre les artistes n'a pas sa place ici. 

Elle serait un frein au sens même de ce travail et à son résultat. Car il adviendrait immanquablement que par rivalité, la toile subisse une arrogance égotique. Il s'ensuivrait une œuvre de type « collage » qui manifesterait le style de chacun sans que rien ne puisse vraiment les relier. Or, il faut créer dans un esprit d'alliance plastique. Et dans cet équilibre instable qui sans cesse est à ajuster, offrir le meilleur et le plus vrai de soi. Ceci réclame de ne pas réfléchir avec la tête, de donner le pouvoir à la main, qui, liée au cœur, sait où elle veut aller.  C'est au prix de cette obéissance que l'alchimie se fait.  Le tableau surgit alors du tréfonds des mouvements picturaux et s'offre à leurs auteurs.

Jean-Pierre Tacier-Fortin et Laurent Cassereau nous proposent, dans une série de toiles, la quintessence de leur partage. Le défi est relevé pour notre plus grand bonheur et celui des artistes qui nous ont confié leur joie d'avoir élaboré ce travail à quatre mains. Celui-ci soulève bien des interrogations sur le parcours inattendu qu'il a emprunté pour se réaliser, ainsi que sur cette expérience artistique qui réexamine les fondements de la création. En particulier, la notion de l'unicité de l'artiste et du statut de son œuvre, au regard d'une conjugaison plurielle des talents qui induit de nouveaux paradigmes »


Pascale  Cazalès 

Maître de conférences,   Coordinatrice scientifique Tr2 CERES et   Directrice du pôle arts et patrimoine.